Le climat politique et économique actuel ébranle plusieurs industries québécoises et canadiennes. Il marque une rupture radicale avec l’approche diplomatique qui avait cours depuis plusieurs années. Devant la guerre commerciale qui s’annonce, le niveau de stress monte particulièrement chez les personnes qui travaillent dans les secteurs concernés et peut affecter leur santé mentale. La situation est déconcertante, car elle peut sembler injustifiée, déloyale, voire axée sur l’intimidation. La difficulté de déchiffrer le vrai du faux dans les éléments d’information mis à notre disposition amplifie cette impression de menace et de perte de contrôle qui n’est pas sans rappeler la situation de crise que fut la pandémie.
Normalisation de nos réactions émotionnelles
À travers nos interventions auprès de notre clientèle, nous observons présentement des réactions d’incompréhension, de surprise, d’incertitude, de peur et de colère. Face à une telle situation, ces émotions sont tout à fait normales. Le stress survient quand le cerveau détecte une menace dans son environnement et la guerre économique imminente est perçue comme telle. Le stress constitue une réponse biologique lorsque nous sommes exposés à une situation nouvelle ou imprévisible, accompagnée d’un sentiment de perte de contrôle. Transcender sa colère de manière saine devient donc salutaire.
Stress ou anxiété?
Il existe une différence entre « stress » et « anxiété ». Bien qu’il soit judicieux de prendre le contrôle de sa destinée et de planifier l’avenir, anticiper le pire peut nous amener à être envahis par la panique et à se sentir déstabilisés.
En période de crise, le futur est incertain.
Stress : Réaction normale, dans une certaine limite, pour se protéger face à une menace concrète et tangible.
Anxiété : Anticipation que le pire puisse arriver dans le futur, grande inquiétude et crainte d’un danger à venir, qui n’est pas encore présent ou effectif.
Résilience collective
Après les tempêtes des dernières années, plusieurs espéraient une accalmie, le temps de reprendre son souffle et de naviguer sur une mer moins houleuse. Il semble toutefois que des vagues continueront de nous surprendre. Olivier Zara, expert franco-canadien en management de l’intelligence collective, utilise des termes comme fragilité, anxiété, non-linéarité et incompréhension pour qualifier cette période difficile à décrypter.
Dans des sociétés qui valorisent l’individualisme et le repli sur soi, quel angle pourrions-nous adopter pour nous reconnecter à notre interdépendance et à notre environnement afin de se redonner collectivement du pouvoir? En plus de renforcer notre résilience individuelle, comment pourrions-nous muscler nos réflexes de résilience collective? Faisons preuve d’un optimisme réaliste et lucide, et restons calme.
Réalisme et cocréation de solutions innovantes
Nous pouvons être tentés de nier cette nouvelle normalité. Bien qu’il soit bénéfique de se protéger des mauvaises nouvelles et des tragédies, comment demeurer lucides? Par l’acceptation de notre impuissance ou des limites de notre pouvoir, par la réactivation de stratégies collectives et individuelles qui se sont avérées utiles antérieurement et par la cocréation de stratégies innovantes.
Comment être optimistes envers notre capacité à rebondir avec résilience? Comment entretenir l’espoir que nous serons capables – collectivement et individuellement – de relever les défis que représentent ces menaces qui nous guettent? En croyant à notre force collective et à notre pouvoir d’achat comme société. En croyant à cet élan de solidarité pancanadien. En croyant aux efforts de protection des gouvernements et des dirigeants pour soutenir nos organisations.
Stratégies collectives de résilience et solidarité : l’art de faire ensemble
Que faire pour se reconnecter à notre interdépendance, entre soi et notre environnement, nos équipes et nos collectivités, nos clients, partenaires externes et nos concitoyens?
Comment recréer ce sentiment d’appartenance à un groupe refuge où se réunissent des personnes qui partagent les mêmes préoccupations et avec qui nous pourrons faire du remue-méninge afin d’identifier des stratégies innovantes?
Quelles sont les stratégies collectives qui avaient été favorables et gagnantes durant la pandémie au sein de nos organisations, de notre collectivité, de nos familles et communautés et groupes d’amis? Et si, parmi celles-ci, il y avait des apprentissages transférables?
Agir ensemble : une coresponsabilité entre les équipes et l’organisation
Au sein des organisations, les équipes de direction peuvent être accompagnées pour réfléchir à l’élaboration de stratégies et d’orientations misant sur la consolidation de leurs équipes afin de les rendre encore plus résilientes et performantes, et d’établir ensemble des stratégies gagnantes. Par exemple, revoir son modèle d’affaires, diversifier sa clientèle, encourager la libre circulation des biens et services entre provinces, ajuster le plan stratégique, identifier de nouvelles occasions d’affaires.
Les personnes gestionnaires sont invitées à sonder l’état d’esprit des membres de l’équipe et à faire une mise en commun des stratégies collectives et individuelles. En milieu de travail, les personnes leaders et gestionnaires sont invitées à s’offrir un temps ensemble pour parler de ce que la situation actuelle sur le plan national et international nous fait vivre. Par exemple, accorder un temps déterminé en début de rencontre pour évacuer ce qui émerge comme émotions. Pourquoi ne pas utiliser des images évocatrices comme outil pour provoquer le partage et la mise en commun des sentiments et des stratégies utilisées par chacun et par les groupes pour composer avec la situation comme une courte séance de codéveloppement?
Pièges à éviter :
- L’optimisme à outrance
- Le détachement ou l’absence de communication
- La recherche de solutions avant d’avoir accueilli l’émotion
- Le jugement ou la condescendance envers les émotions exprimées
Le rôle du ou de la gestionnaire est de soutenir les membres de son équipe en les écoutant, en les rassurant qu’il existe des solutions, en détectant les signes avant-coureurs de détresse et, si nécessaire, en les dirigeant vers l’aide appropriée. Son rôle consiste aussi à trouver des solutions adaptées pour que la personne ne cède pas sous la pression et qu’elle puisse continuer d’apporter sa contribution au succès de l’équipe et de l’organisation. Il est également de la responsabilité du ou de la gestionnaire d’agir comme coach et de fournir un environnement facilitant et bienveillant.
Ce que les employés et employées attendent de leur leader en période de stress et de crise :
- Avoir un plan d’action clair auquel tous peuvent participer.
- Être capables de bien les outiller pour effectuer leur travail.
- Être informés régulièrement par leur gestionnaire.
- Se sentir appréciés par les gestionnaires.
- Estimer que leur bien-être est important pour l’organisation.
La notion de contrôle et du lâcher prise
Nous vous proposons quelques pistes de réflexion :
- Sur quoi n’avons-nous collectivement aucun contrôle et devons-nous lâcher prise? Acceptation de la limite de notre pouvoir.
- Sur quoi avons-nous du contrôle en lien avec soi-même et son cercle rapproché? Quels choix conscients pouvons-nous faire en cohérence avec nos valeurs, qui créent du sens pour nous, pour soi?
- Que pouvons-nous faire collectivement pour influencer la situation?
Stratégies de résilience individuelle
Au vu de tout ce qui se passe dans le monde, il importe de se reconnecter à son compas interne, à ce qui est le plus important pour soi, à ce qui crée du sens en lien avec ses convictions et ses valeurs :
- Poser des gestes signifiants en cohérence avec ses valeurs. Participer aux efforts de protection pour soutenir les entreprises d’ici. S’engager dans sa collectivité par des gestes qui créent du sens pour soi.
- Assister à des formes d’expression artistique et humoristique en lien avec la thématique.
- Célébrer les victoires minimalistes. Souligner avec gratitude ce qui va bien en pleine conscience, « ici et maintenant ». Cultiver l’espoir.
- Poser le geste conscient de sublimer ses émotions via une activité sportive ou artistique.
- Départager ce qui appartient au contexte actuel et ce qui fait partie de son propre passé et de son vécu. Faire la part des choses.
- Décrypter le vrai du faux grâce à des sources fiables et afin d’analyser la situation dans toute sa complexité et sa globalité.
- Favoriser la prise de parole pour énoncer, voire influencer en lien avec ses intentions.
- Identifier un groupe refuge où des personnes partagent les mêmes préoccupations et échanger ensemble, permettant d’exprimer ses émotions dans un milieu sécuritaire
Dans certaines cultures orientales, l’étymologie du mot « crise » évoque à la fois le danger et l’opportunité. Plutôt que de subir les turbulences, cette perspective nous invite à y voir un élan vers l’avenir. En adoptant cette posture, nous transformons chaque défi en levier de croissance et forgeons, avec résilience, les fondations du monde de demain.
Références
Radio-Canada Ohdio (10 janvier 2025). À la recherche du soi perdu. Cultiver son rapport à l’autre pour traverser les crises. Karina Marceau journaliste, Marie-Ève Cotton, psychiatre, Nathalie Plaat, psychologue clinicienne, Mélissa Généreux, médecin en santé publique.
Sonia Lupien (2023). Le stress au travail versus le stress du travail. Comment réinventer le travail pour diminuer le stress. Éditions Va Savoir.
Sonia Lupien (2020). Par amour du stress. 2e édition. Éditions Va Savoir.
